Associés minoritaires : attention à la solidarité avec les majoritaires en cas de cession

Un arrêt récent rendu par la Cour de cassation (Cass. com., 30 août 2023, no 22-10466) rappelle les effets – potentiellement désastreux – de la solidarité en matière de cession majoritaire de titres.

Faits

Dans cette affaire, l’on comprend, à la lecture de l’arrêt de Cour d’appel (Cour d’appel de Bordeaux, 16 novembre 2021, n° 18/05854) que l’associé majoritaire et dirigeant, alerté par l’expert-comptable des difficultés financières de la société, souhaite vendre rapidement, trouve un repreneur et se porte fort de l’acceptation de la vente par les associés minoritaires.

Ces derniers (2 associés détenant, chacun, 1 part sociale sur 3.000 parts au total) signent un pouvoir permettant à l’associé majoritaire de procéder à la cession.

L’acte de cession est signé le 19 janvier 2017. Le prix de cession est fixé à 380k€, dont 300k€ d’acompte sont versés aux vendeurs sur la base des derniers comptes connus, au 29 février 2016. Il est précisé que le prix peut être révisé à la baisse sur la base des capitaux propres figurant dans la situation comptable intermédiaire de la société arrêtée au 31 décembre 2016.

Lorsque cette situation comptable est connue, les capitaux propres de la société cédée s’avèrent très négatifs (près de 1M€).  L’acquéreur notifie donc aux vendeurs un prix définitif s’élevant à 1€, et demande le remboursement de 299.999€ d’acompte, puis, en l’absence de règlement, sollicite en justice la condamnation solidaire de l’ensemble des vendeurs (6 au total).  

Vaine tentative de mise en jeu de la responsabilité de l’expert-comptable par l’associé majoritaire

Devant le Tribunal de commerce de Libourne puis la Cour d’appel de Bordeaux, les majoritaires (4 associés, dont le principal associé et dirigeant) cherchent à mettre en jeu la responsabilité de leur expert-comptable historique, responsable de l’établissement des comptes servant de base à la révision de prix, au motif notamment que seul le cabinet d’expertise-comptable les a assistés dans le cadre de l’opération et qu’il aurait manqué à son obligation générale d’investigation et d’alerte et à son devoir de conseil.

Les associés minoritaires (2 associés détenant 1 part) contestent quant à eux devoir rembourser solidairement l’acompte et, à titre subsidiaire, invoquent la violation des pouvoirs du principal associé et dirigeant.

La cour d’appel de Bordeaux balaie l’argument de la responsabilité du cabinet d’expertise comptable, relevant que ce dernier n’est pas intervenu sur les aspects juridiques de l’opération et qu’il avait informé l’associé majoritaire et dirigeant du risque d’une restitution de l’acompte avant la signature du contrat de cession.

Elle relève le caractère commercial de la cession, s’agissant d’une cession entraînant le changement de contrôle de la société, et applique la présomption de solidarité qui y est attachée (tous les vendeurs sont solidaires, en l’absence de clause contraire dans l’acte de cession). Elle condamne donc solidairement les cédants (en ce inclus ceux n’ayant cédé qu’1 action) à restituer la partie de l’acompte réclamée par le cessionnaire.

Enfin, s’agissant de la prétendue violation des pouvoirs de l’associé majoritaire et dirigeant, également invoquée par les minoritaires, elle relève la généralité des termes du pouvoir signé au profit de ce dernier (« signer tout protocole de cession, toutes garanties d’actif et de passif, actes de cession de parts sociales et plus généralement signer tous les actes qui en seront la suite et la conséquence, donner toutes garanties, recevoir tout montant et généralement faire le nécessaire en vue de la réalisation de ladite cession. »).

Les associés minoritaires victimes de la déloyauté du majoritaire…et de l’absence de conseil

Les deux vendeurs, qui n’avaient cédé qu’un titre chacun, forment un pourvoi en cassation et invoquent trois arguments : (1) la cession des titres n’avait pas de caractère commercial ; (2) ceci est d’autant plus vrai que leur propre cession n’a eu aucun impact sur la cession du contrôle de la société à l’acquéreur ; (3) ils considèrent qu’à défaut pour les cédants d’avoir consenti une garantie de passif à leur cessionnaire, il ne saurait y avoir d’obligation solidaire. Selon les cédants, une telle solidarité ne s’applique pas à la restitution du prix.

Il convient à ce titre de rappeler qu’en matière civile, la solidarité ne se présume pas : il en résulte qu’en l’absence de précision dans le contrat, il n’y a pas de solidarité. En matière commerciale, c’est l’inverse : la solidarité est présumée sauf clause contraire. Raison pour laquelle les cédants cherchaient à tout prix à remettre en cause le caractère commercial de la cession.

Malheureusement pour les vendeurs, tous ces arguments sont balayés par la Cour de cassation : cette dernière (1) rappelle que les conventions emportant cession de contrôle d’une société commerciale présentent un caractère commercial, (2) précise que le transfert du contrôle s’apprécie au regard de l’acquéreur, et (3) considère que la solidarité ne s’applique pas uniquement en cas de garantie de passif mais pour toutes les obligations, en ce compris une clause entraînant une restitution du prix.

Cet arrêt rappelle que les cessions sont des processus complexes et qu’il est important de bien s’entourer, y compris pour un associé minoritaire lorsque l’enjeu est perçu comme faible. En l’espèce, il aurait suffi aux vendeurs minoritaires de faire introduire une clause précisant que les vendeurs agissaient « sans solidarité entre eux », ou refuser de vendre, pour éviter les conséquences catastrophiques de l’application du mécanisme de solidarité.

Au final, pour chacun des deux vendeurs solidaires, le prix de cession est de 126,66 euros, mais la responsabilité qui y est attachée s’élève à 300.000 euros (sans compter les frais de contentieux qui ont été dépensés jusqu’en cassation).

En savoir plus
Fabien Courvoisier
fcourvoisier@solegal.fr
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